Les Femmes de proie. Mademoiselle Cachemire
age-il en vient beaucoup de ce c?té-a peint, sur la porte d'entrée un lapin à demi dépouillé qui fricasse tout vif sur un feu clair. Le nom de l'aubergiste se détache en grosses lettres bleues:
y a de be
e si parfai
d y a tiré s
fille? L'histoire de l'art est là-dessus muette, Vasari se
ous son lit, ou derrière son armoire, parce que le père Labarbade ne badinait pas. C'était un homme dur, rendu plus rude encore par le malheur. Toute sa vie il avait travaillé sans grande chance. Il était de ceux qui naissent condamnés. Sa première femme, la mère de Suzanne, était morte jeune. Remarié, le pauvre homme n'avait trouvé que le chagrin, la mauvaise humeur au logi
it point plier. Elle se raidissait contre les injustices, opposa
les bras de l'enfant, avec des pommes ou des confitures et lui disait: va-t-en maintenant! Mais comme les querelles l'ennuyaient, il se lassa de lutter contre la ménagère qui savait trop bien lui faire payer toutes ces colères. Il en vint même à se persuader que
ssée. A partir de ce jour, dans cette
hait. Quel isolement! Mais elle patientait encore. Un je ne sais quoi lui disait que cette vie ne durerait pas longtemps. Elle travaillait pour s'étourdir ou plut?t elle s'agitait. Elle pêchait. Elle conduisait le bateau elle-même, et aimait à le lancer dans les joncs qui pliaient tout autour. Les cheveux dénoués, les bras nus dans un casaquin qui laissait voir ses aisselles, elle dirigeait sa barque et servait de passeuse aux jeunes gens qui voulaient traverser l'eau pour descendre à l'auberge de Labarbade. Quand ils essayaient de plaisanter avec elle, elle devenait toute pale. Ces rires soulignés par des gestes, des mots
cher en sifflant sur la route. Ou bien elle sortait et s'asseyait au bord de l'eau. C'était là qu'il faisait bon! Seule, avec ses désirs, avec ses rêves! La berge, pleine d'herbes hautes et fra?ches, s'adoucissait, glissant vers l'eau. C'était vert, ce terrain, marécageux, tentant. A deux pas les roseaux, les ajoncs courbés miroitaient au soleil comme des aiguilles, les nénufars jaunes et luisants ouvraient à l'air leurs feuilles larges. Point de bruit. Les froissements des ailes sèches des libellules qui
s et bleues ébréchées, des chaises de paille et de noyer, des imageries d'Epinal, Mathilde et Malek-Adel dans un cadre orange, des paquets de ficelles suspendus ici, là des champignons en grappes. Un pot de pommade en verre opaque, une terrine de foie gras conservée comm
était déci
anche que Labarbade lui avait achetée pour ses étrennes, et que madame Labarbade avait conservée en pièce. Mais Suzanne savait où était la
celles et de mirlitons. La lumière était rouge; des lampes de schiste éclairaient la salle de danse, formée par quelques piquets soutenant une corde qui tenait lieu de muraille. Juchés sur une estrade de planches, qui criait et mena?ait au moindre geste, quatre musiciens, les joues enflées, jouaient de la clarinette et du cornet. La lumière des lampes suspendues aux arbres paillettait le cuivre des instruments, rougissait les faces apoplectiques de
ne glissait des rayons pales parmi cette fournaise en plein a
stocratiques, elle faisait l'effet d'une note plus calme au milieu de ces ch?urs épileptiques. Il y avait autour d'elle des jeunes gens de la ville et des dames qui ne la quittaient pas des yeux. Elle était fière de ces regards; elle éclatait d'une joie profonde. C'était cela qu'elle souhaitait. être vue! Tout à
venir danser sans m
e sentit qu'une main
peignes, de sa pommade, de ses miroirs, sauta par la fenêtre, qui n'était pas haute, sur les plates-bandes du jardin, et se
ait vingt francs, une pièce d'or et des sous. Le soir était venu, elle avait faim, r?dait autour des petits restaurants, toute seule, son paquet à la main. Elle ne savait guère où elle se trouvait. C'était une rue montante, pleine de bruit, de voitures, de gens en blouse, d'ouvriers, d'ouvrières, qui s'en allaient chez eux, la journée finie. Il avait plu. Tous ces gens étaient pl
due arrêta court Suzanne sur le trottoir. Elle regarda avec des yeux pleins d'appétit et tend
m'en, di
tendue, regardant cett
ien? dit l
ondit au hasard et tendit sa pi
, vous n'avez pas de
our s'asseoir. Partout du monde. Alors, tout en marchant, elle grignotait ses pommes de terre, dé
volupté à marcher là-dedans, crottée, salie, et à regarder les voitures aux lanternes à biseaux, qui passaient, éclaboussant le monde. Elle n'avait pas d'étonnements, elle n'avait rien oublié de tout cela qu'elle avait vu, petite; elle l'e?t deviné. C'était son milieu. C
pleins de soie, pleins de luxe. Ses jambes pliaient, mais elle voulait voir, regarder, toucher des yeux ces me
t la poursuivre. Elle s'éloignait alors brusquement des maisons où des transparents allumés annon?aient les h?tels garnis comme on se détournerait d'un piége. Mais comment faire? Elle errait toujours, laissant passer les heures, accablée, ses pieds alourdis la retenant à chaque pas. C'était un long boulevard qui durait
se, les bras alanguis, les yeux à terre, entendant comme un bourdonnement vague autour d'elle, la pensée reportée vers cet intérieur qu'elle avait quitté, et où le pain, le g?te, le petit lit de noye
. Il y avait une femme assise à c?té d'elle, une ouvrière, le costume décent, la voix douce et fatig
nc? dit cette fe
faute, et elle écrasa entre ses paupières de
se défier, au début. Puis elle ne voulait pas
leva du banc où elle était assise et s'é
dam
ur ses pas et
e voul
personne. Je cherche un logement.
la femme, j'
mbre qui était son atelier. Elle travaillait à de la chaussure avec une machine à coudre. Ce qu'elle gagnait lui suffisait bien. Elle économisait même pour les mauvais jours. C'était une honnête femme, mariée à un de ces beaux parleurs d'atelier qui pérorent au fond des cafés, laissant l'ouvrage les attendre. Elle l'avait aimé beaucoup, puis la désillusion et la lassitude étaient venues. Un jour, on s'était séparé
rde, très-confiante, facile à se livrer, à s'apitoyer. Elle avait lu sur le visage
ait-elle en montant l'escalier. Mais à la gu
Suzanne se coucha. Mais elle ne dormit pas. Victoire Herbaut, assise à c?té d'elle, q
me grondait, parce que je mettais du vinaigre de Bully dans mes cheveux. Car j'ai été coquette, moi aussi. ?a m'a passé! ?a vous passera! Voyez-vous, il faut travailler, tra
mplissaient de gravier et qui s'enfon?ait déjà, en rêve, dan
t madame Herbaut en se retirant. Ne m'en
entendait
c?té! Tout ce petit logis était gai, propre; il y avait une pendule sur la cheminée avec Paul embrassant Virginie, des chandeliers en zinc, des gravures sur la muraille; dans un cadre en ?il-de-b?uf, sous verre, fané, triste, jauni,
causons, en attendant que votre café chauffe.-Je prends le
i?
udre! regardez-moi aller... Ce n'est
lui enseigna comment man?uvraient les aiguilles et c
uzanne, mais je ne saurai
aut, il faut bien vous déc
on était depuis longtemps prise, qu'elle serait morte à Samoreau, qu'il lui fallait Paris, qu'elle allait travailler d'ailleurs, qu'elle avait déjà un état et qu'elle ne demanderait jamais rien à personne. Le dernier trait était dirigé contre sa be
otion. Labarbade avait
; mais ce travail lui pesait; elle souhaitait l'inaction, le repos, ce que Paris lui avait promis. E
reux de chercher à monter. J'ai eu de mes amies qui ont fait aussi de ces rêves-là. Où son
rs, le secret des coulisses littéraires, et pourquoi telle pièce n'aurait pas de succès, et pour quelle raison mademoiselle Jane Essler avait refusé le r?le, quel roman allait faire scandale, quel cadavre avait été apporté à la Morgue, quel mot avait été dit au Jockey-Club, quel duel mena?ait d'avoir lieu, pour quoi, pour qui, quelle nouvelle politique préoccupait les esprits, ce qui se passait au boulevard Montmartre, rue de Bréda, rue Mouffetard, au Pérou et au Mexique. Sans
qu'on lui corrige ses
ndait. Elle avait l'intuition de tout ce qui pousse, fleur de serre ou fleur de ruisseau, sur le terreau parisien. Quand Joseph, parlant à sa s?ur, s'arrêta
une affaire. Suzanne ne pouvait rester en place, Joseph se fachait et grondait. Ce portrait aux deux crayons, assez mal dessiné, mais très-expressif, leur prit deux semaines, et, une fois fini, Joseph le fit encadrer. Suzanne était étonnée de tout ce que savait Joseph Guérin. Il chantait bien, dansait à merveille, écrivait avec de magnifiques paraphes.-C'est un phénix! disait madame Herbaut. A force de l'admirer,
urait les champs, dansait dans les bals de campagne. Elle aimait surtout Nogent, avec ses ?les touffues, sa population de canotiers se croisant sous les grandes arches du viaduc, ses cabarets en plein air, ses rives où les ouvriers, les commis, les grisettes, les militaires, assis et bruyant, déjeunaient en regardant couler la rivière. Une promenade en bateau la comblait de joie. C'était Joseph qui ramait; elle plonge
air frais qui la frappait au visage et collait sa jupe contre ses jambes. Puis, c'était le bal. Elle bondissait sur l'herbe aux premières notes cuivrées de ces orchestres de campagne. Le
née d'hier, coulée d'un jet, c'est Plaisance
es chansons sous les tonnelles. Une population, laborieuse ou flaneuse, ouvriers ou bohèmes, ruisselle là du soir au matin, et le jour et la nuit. Des filles en fichu, des r?deurs de comptoirs en casquettes avec des paletots luisants. La Chaussée du Maine, non loin de là, a la physionomie de tous les boulevards extérieurs. Des arbres grêles, de petites maisons, des étalages de bouquinistes ou de marchands de bric-à-brac, les vieux pastels et les vieilles estampes coudoyant les vieux habits et les vieilles pendules; ?à et là, un établissement plus vaste, des maisons de confection pour les travailleurs, avec des blouses bleues et des pantalons de coutil à bouton d'os à la montre, ou des bureaux de déménagements, des loueurs de voitures à bras, toute une série d'industries à l'usage des petits c
t, d'aspect bizarre, une construction d'un autre siècle, avec des grilles, une porte basse, des murs peints en vert et des pots au fronton de la maison. Les murs du cabaret n'entend
ieillards. Près de là, au Champ d'Asile, se réunissent les joueurs de boules. Le cochonnet exilé du Luxembourg, refoulé par les constructions et les démolitions nouvelles, s'est réfugié là, dans ce terrain vague où, sans doute en 1815, avant de gagner la route de Fontaineb
ou, de cahiers de chansons, de complaintes; et des photographes, avec leurs enseignes; des portraits-cartes pendus à la porte, autant de stations pour Suzanne, autant de réflexions, de spectacles. Les brodequins la faisaient rêver, les portraits surtout l'attiraient. Il y en avait de toutes sortes, ouvriers endimanchés, pétrifiés dans la pose choisie, étranglés dans leurs cravates avec de gros yeux et de grosses mains; jeunes filles maigres et chlorotiques regardant les passants d'un air niais; des soldats, leur briquet entre les jambes, des bourgeois, leur parapluie à la main. Tout cela, l'air triste, ennuyé, ankylosé. Suzanne ne les regardait pas. Ce qui la charmait, c'était la réunion des artistes du théatre, jeunes gens aux cheveux longs et gras, l'air penché ou insolent, leur main dans la poche
de toutes ses inquiétudes, des sollicitations d'autrefois, des éveils qu'elle avait comprimés, là-bas. Mais elle fut surtout grise de Joseph, le jour où celui-ci lui annon?a qu'on org
venant rouge, puis pale. Un r
u es, tu as tout ce qui f
n, et qui citèrent le nom de Suzanne quelques jours après. Elle en fut éperdue de joie. Elle prenait le journal, le regardait, épelait ce nom qui était le sien, riait, embrassait Joseph et le remerciait. Elle était heureuse, car elle sentait maintenant que la route s'ouvrait. Elle avait trouvé sa voie. Ces planches pouvaient être un piédestal. Elle déclara qu'elle se ferait actrice. Cette vie lui plaisait. Joseph ne s'étonna
ous sur l'affiche? d
eph en interrogeant
isseur, qui écoutait.
que je n'aime pas, fi
, mettez Cachemire ou Ca
'est joli, ?a, tiens!
, elle batta
Elle sortait de scène, ivre, joyeuse, toute rouge, grisée par les bravos et les sourires. Dans la coulisse, Joseph l'attendait. Au milieu des deux ou trois habilleuses du petit théatre, des figurants, des hommes de service, des pomp
emble? lui demandait un soir Vict
N
uelque chose à Suzanne. Elle ne te parle plus comme a
ge de coulisses, mariage à la détrempe! Non, va, je
urq
que. Tu
it bien résisté un peu, mais elle cédait facilement, et elle en était venue à présent à coudre elle-même les robes que Suzanne devait mettre sur la scène, des petites toilettes de quatre sous, relevées avec quelques méchants rubans, et qui rendaient charmante celle qui les portait et qui tournait toutes les têtes du quartier. Mais Joseph se voyait maintenant séparé de Suzanne par les becs de gaz de la rampe, comme si cette rampe e?t été une barrière infranchissable. Elle était d'un mond
bibliothèque. Elle songeait déjà à avoir mieux que cela. Elle avait vu de ses camarades partir, le soir, après le spectacle, dans quelque coupé. Elle était lasse des robes d'Orléans, des chapeaux de p
e entendit un bruit au-dessus d'elle, des cris, une trépidation; elle se hata, et, en ouvrant la porte de l'appartement de Victoire, elle vit la
e-ci, à présent? dit-
agée, et, poussant S
sait-elle, allez-vous-en. Il vous ba
poussant avec fracas la porte derrière lui, et jetant un regard farouche et terne à la fois, le regard de l'ivresse mauvaise. Il descendit l'escalier lourdemen
donc? dit-elle. Po
s répondre, étouffant ses
fait mal, m
on poignet rouge et meurtri. Suzanne tremblait encore.
e l'argent. Je ne voulais pas en donner. Je n'en ai pas trop. Alors il a frappé... Mettez donc un peu de sel dans de l'eau pour mon bras... C'est vrai, j'ai mal... Et puis il a p
mblait qu'elle entendait l'écho lointa
ts; c'est pour les enfants qu'il faut se mettre d'accord avec la loi. Il n'y a que cela au monde, des petits êtres bons et doux comme le pain! Je sais bien que si j'en ava
es écorchée, m
, s'il revient souvent, c
i revien
a le
et le co
e heure; je suis sa chose... Se séparer? Il faut plaider pour ?a, il faut être riche!.., mais il ne reviendra pas, i
e à Jose
fit Victoire. I
à le mariage! cette cha?ne, cet esclavage, c'était ce qu'elle avait eu l'idée de partager avec Joseph? Elle frémit à l'idée seule qu
haut, ce n'est pas moi
crainte. Cet homme pouvait revenir. Il était chez lui, avait dit Victoire. S'i
non, fit
Elle eut l'idée de se sauver encore, mais cette fois au grand jou
sa porte. C'
'un air alarmé... Victoire est
sais pas?
N
e t'a r
a rien v
fit-elle... C'est s
Joseph en serrant les poings, ce gredin-là v
dit S
! Elle ne disait rien, elle ne voulait pas parler... Comprends-tu cela? Elle
e idée
t tro
s en
qu'il y avait eu
moi cette pensée-là! Note que tu en as
tait mal à l'aise auprès de Joseph. Auparavant, la pièce finie, elle s'habillait lestement, descendait de sa loge, se pendait au bras du jeune homme et regagnait le logis avec lui en babillant. Maintenant elle tardait à descendre. Elle bavardait avec celui-ci, avec celui-là, avec le jeune premier et le troisième r?le qui avaient l'un et l'autre le droit de la tutoyer sans qu'ils fussent jaloux.-?Il peut bien attendre, dis
il avait perdu. Il le faisait, un peu tristement tous les jours, et doucement en prenait son parti
asseoir sur une chaise, le menton dans la paume
ouvais me quereller avec ta s?ur? Vous ai-je habitués jamais à
hose à se dire? As-tu quelque raison de te plaindre de moi?... C'est possible. A parler franchement, je ne suis
ourtant......, fit Suza
chales de l'Inde font le bonheur, je parie? Va voir rue de Bréda si j'y suis. Tu es libre! Mais note bien que le fricot chez nous t'aurait aussi bien nourrie que le homard là-bas. ?a te regarde. J'ai fait ce que j
, est-ce ma faute si je
plumes fait plus d'esbrouffe qu'un bonnet. Mais il y en a tant d'autres comme toi; et toutes ne réussissent pas. Mieux
zanne en se levant et
so
O
-midi, je tiendrai c
de théatre qui l'avait bien souvent raillée sur sa liaison avec Joseph. Elle lui d
t ce luxe, je n'ai qu'à étendre la
i. Il y a un appartement dans la maison que le portier me laissera occuper jusqu'au 15
devint toute pale et pleura un peu. Joseph se contenta de dire