Pauline
se tromperait grandement si l'on supposait que les préventions de la province sont difficiles à vaincre. Quoi qu'on dise à cet égard, il n'est point de séjour où la bienveillance soit plus aisée à
que mille curiosités inquiètes n'attendaient qu'un premier exemple pour se lancer dans la carrière des innovations. Je connais certains chefs-lieux de canton où la première femme qui se permit
aisément, parce que, sans eux, à les entendre, le pays retomberait dans la barbarie), se risquèrent enfin à faire le voyage de la capitale. Ils revinrent tous remplis de la gloire de Laurence, et fiers d'avoir pu dire à leurs voisins du balcon ou de la première galerie, au moment où la salle croulait, comme on dit, sous les applaudissements: - Monsieur, cette grande actrice a longtemps habité la ville que j'habite. C'était l'amie intime de ma femme. Elle d?nait quasi tous les jours à la maison. Oh! nous avions bien deviné son talent! Je vous assure que, quand elle nous récitait des vers, nous nous disions entre nous: ?Voilà une jeune personne qui peut aller loin
pas empiré son état au point de lui faire négliger sa mère. Mais celle-ci fit une grave maladie qui ramena Pauline au sentiment de ses devoirs. Elle recouvra tout à coup sa force morale et physique, et s
en rêve dans le tourbillon qui emportait Laurence. Peu à peu le ton de supériorité morale que, par un noble orgueil, la jeune provinciale avait gardé dans ses premières lettres avec la comédienne, fit place à un ton de résignation douloureuse qui, loin de diminuer l'estime de son amie, la toucha profondément. Enfin les plaintes s'exhalèrent du coeur de Pauline, et Laurence fut forcée de se dire, avec une sorte de consternation, que l'exercice de certaines vertus paralyse l'ame des fe
ait depuis quelque temps: celui de se charger de l'existence de Pauline en lui faisant partager la sienne aussit?t qu'elle serait libre. - Que deviendra cette pauvre enfant désormais? disait Laurence. Le devoir qui l'attachait à sa mère est accompli. Aucun mérite re
a mère de Laurence; elle verra les merveilles de l'art,
ive à comprendre ce qu'on voit, n'est-ce pas vivre par l'inte
rompe, elle se trompe elle-même. C'est par le
mien? Qui l'aimerait dans sa petite ville comme je l'aime? Et si l'amitié ne suffit pas à s
voudra pas être aimée en artiste, dit-elle avec
x et sans retard. La patience des créanciers avait fait grace à la vieillesse et aux infirmités de madame D...; mais sa fille, jeune et capable de travailler pour vivre, n'avait pas droit aux mêmes égards. On pouvait, sa
t silence aux sages prévisions de sa mère. Toutes deux montèrent e
sa propre dignité. Elle trouvait dans le catholicisme la nuance qui convenait à son caractère, car toutes les nuances possibles se trouvent dans les religions vieillies; tant de siècles les ont modifiées, tant d'hommes ont mis la main à l'édifice, tant d'intelligences, de passions et de vertus y
propre estime, et peut-être aussi de celle d'autrui, bien plus que de l'amour de Dieu et du bonheur du prochain. Tandis que Laurence, moins forte et moins orgueilleuse, se consolait de toute privation et de tout sacrifice en voyant sourire sa mère, Pauline reprochait à la
grande actrice n'était plus une honte, c'était un honneur. Il y avait désormais une sorte de gloire à se vanter de son attention et de son souvenir. La nouvelle apparition qu'elle fit à Saint-Front fut un triomphe bien
cet orgueil de la pauvreté, qui serait la plus laide chose du monde si tant d'insolences protectrices n'étaient là pour le justifier. Pauline devait-elle craindre cette insolence de la part de Laurence? Non; mais elle ne pouvait s'empêcher de trembler un peu, et Laurence, quoiqu'un peu blessée de cette méfiance, se pr
bitudes élégantes, cette vie paisible et intelligente que Laurence avait su se faire au milieu d'un monde d'intrigue et de corruption, donnaient un généreux démenti à toutes les terreurs que Pauline avait éprouvées autrefois sur le compte de son amie. Il est vrai que Laurence n'avait pas toujours été aussi prudente, aussi bien entourée, aussi sagement posée dans sa propre vie qu'elle l'était désormais. Elle avait acquis à ses dépens de l'expérience et du discernement, et, quoique bien jeune encore, elle avait été fort éprouvée par l'ingratitude et la méchanceté. Après avoi
su à propos lui faire le sacrifice apparent de ses principes, et, quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense, ce sacrifice est le plus sublime que puisse suggérer l'amour maternel. Honte à la mère qui abandonne sa fille par la crainte d'être réputée sa complaisante ou sa complice! Madame S... avait affronté cette horrible ac
e de haine et de crainte qui avait cimenté l'attachement réciproque de Pauline et de sa mère. Pauline en fit la remarque avec une souffrance intérieure qui n'était pas du remords (elle avait vaincu cent fois la tentation d'abandonner ses devoirs), mais qui ressemblait à de la honte. Pouvait-elle ne pas se sentir humiliée de trouver plus de dévouement et de véritables vertus domestiques dans la demeure élégante d'une comédienne, qu'elle n'avait pu en pratiquer au sein de ses austères foyers? Que de pensées br?lantes lui avaient fait monter la rougeur au front, lorsqu'elle veillait seule la nuit, à la clarté de sa lampe, dans sa pudique cellule! et maintenant, elle voyait Laurence couchée
oire, à sa petite collerette blanche, à ses cheveux sans rubans et sans joyaux. Elle s'immis?a volontairement dans le gouvernement de la maison, dont Laurence n'entendait, comme elle le disait, que la synthèse, et dont le détail devenait un peu lourd pour la bonne madame S... Elle y apporta des réformes d'économie, sans en diminuer l'élégance et le confortable. Puis, reprenant à de certaines heures ses travaux d'aiguille, ell
de charme et d'intérêt entre des personnes distinguées, pouvaient rappeler, pour le bon go?t, l'esprit et la politesse, celles qu'on avait, au siècle dernier, chez mademoiselle Verrière, dans le pavillon qui fait le coin de la rue Caumartin et du boulevard. Mais elles avaient plus d'animation véritable; car l'esprit de notre époque est plus pr
r d'une femme remarquable, tout tend à s'harmoniser et à prendre la teinte de ses pensées et de ses sentiments. Pauline n'eut donc pas l'occasion de voir une seule personne qui p?t déranger le calme de son esprit; et ce qui fut étrange, même à ses propres yeux, c'est qu'elle commen?ait déjà à trouver cette vie monotone, cette société un peu pale, et à se demander si le rê
Il fallut laisser franchir le seuil du sanctuaire à d'autres hommes qu'aux vieux amis. Des gens de lettres, des camarades de théatre, des hommes d'état, en rapport par les subventions avec les grandes académies dramatiques, les uns remarquables par le talent, d'autres par la figure et l'élégance, d'autres encore par le crédit et la fortune, passèrent peu à peu d'abord, et puis en foule, devant le rideau sans couleur et sans images où Pauline br?lait de voir le monde de ses rêves se des