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Robert Burns by Auguste Angellier

Chapter 1 LES VIEILLES BALLADES[18].

Les ballades sont de courts récits rhythmés, généralement divisés en strophes, et relatant un fait historique, fabuleux ou romanesque, qui, par l'héro?sme ou les malheurs des personnages, l'étrangeté ou le dramatique des circonstances, et souvent par un mélange de surnaturel, sort des conditions ordinaires de la vie. Leur trait caractéristique est d'être surtout un récit, de présenter le sujet qu'elles traitent sous forme de narration. Ce sont des complaintes romanesques et héro?ques[19].

Dans un pays si longtemps agité par la guerre étrangère et déchiré par les guerres civiles, où les rivalités des clans et les pillages réciproques couvraient la campagne de combats et ensanglantaient les moindres ruisseaux, il n'est pas étonnant que ces complaintes aient surgi de toutes parts. Les Borders surtout, avec leurs luttes incessantes, leur état de guerre continuelle, leurs surprises, leurs razzias, en ont fourni le plus grand nombre. Mais d'autres grands faits historiques s'y retrouvent conservés. Les invasions des Norvégiens[20], la résistance des outlaws réfugiés dans les bois[21], les luttes entre les gens des Basses-Terres et les Highlanders[22], les croisades[23], les luttes de l'indépendance contre les Anglais[24], les aventures de Marie Stuart[25], ont laissé des échos lointains, et donné naissance à un certain nombre de ballades.

Quand on ouvre un recueil de ces récits, on entre dans un monde de violence et de force, où la vie humaine est soumise à une perpétuelle hécatombe. Presque tous sont dramatiques; un grand nombre tragiques; quelques-uns atroces. Les sujets favoris sont des combats, des enlèvements, des vengeances, des apparitions de spectres, des crimes commis, découverts, et chatiés par de terribles représailles. Ce sont des batailles sur la frontière entre écossais et Anglais, plut?t entre troupes de grands chefs locaux qu'entre armées royales, avec des défis à la fa?on des héros homériques, des mêlées furieuses et acharnées, où les flèches volent et s'enfoncent dans les poitrines jusqu'aux plumes, où les lances éclatent, où les blessés, les jambes coupées, combattent sur leurs genoux[26]. Ce sont des excursions de freebooters, qui vont piller en Angleterre, enlever des troupeaux[27].

Ils volèrent la vache noire et blanche et le b?uf rouge[28].

Ce sont des exécutions de ces bandits, pendus soit par les Anglais, soit même par le roi d'écosse, et à qui la sympathie du peuple ne manque pas[29]. Ce sont des feuds, des haines entre clans, pareilles aux vendettas des familles corses[30]. Ce sont de hardis coups de main, exécutés en ferrant les chevaux à l'envers, pour aller délivrer des camarades dans les forteresses de Berwick ou de Carlisle[31]: on arrive la nuit, on escalade la muraille, on tue le gardien, on enlève le prisonnier chargé de ses fers, on pique des deux; les cloches sonnent, c'est l'alarme; on est poursuivi; on arrive à une rivière grossie; on la traverse, et, quand on est sur l'autre bord, on invite les Anglais à en faire autant.

Traverse, traverse, lieutenant Gordon,

Traverse, viens boire le vin avec moi,

Car il y a un cabaret auprès d'ici,

Et il ne t'en co?tera pas un penny[32].

Dans quelques-unes de ces ballades, le drame va jusqu'à l'atroce. Dans Edom de Gordon, le chef, qui a donné son nom à la ballade, se présente avec cinquante hommes devant le chateau de Towie, où la chatelaine est enfermée avec ses trois enfants. Il la somme de se rendre.

Descendez vers moi, belle dame,

Descendez vers moi, descendez vers moi;

Cette nuit vous reposerez dans mes bras,

Le matin, vous serez ma fiancée[33].

La mère refuse. Il fait mettre le feu au chateau. La flamme monte; la fumée étouffe les enfants qui se lamentent les uns après les autres; puis viennent les réponses désespérées de la mère. C'est là que se trouve cette scène à la fois touchante et affreuse.

Oh, alors parla sa fille chérie,

Elle était frêle et mignonne:

?Oh! roulez-moi dans une paire de draps,

Et descendez-moi par-dessus la muraille?.

Ils la roulèrent dans une paire de draps,

Et la descendirent par-dessus la muraille,

Mais, sur la pointe de la lance de Gordon,

Elle fit une chute mortelle.

Oh! jolie, jolie était sa bouche,

Et rouges étaient ses joues,

Et claire, claire était sa chevelure,

Sur laquelle le sang rouge coule.

Alors, avec sa lance il la retourna;

Oh! que la face de l'enfant était pale!

Il dit: ?Tu es la première que jamais

?J'aie souhaité voir revivre?.

Il la tourna et la retourna,

Oh! que la peau de l'enfant était blanche!

?J'aurais pu épargner cette douce face

Pour devenir les délices d'un homme.

Alerte, partons, mes joyeux compagnons,

Je pressens un triste destin.

Je ne puis regarder cette douce figure

Qui est là gisante dans l'herbe[34]?.

La flamme gagne la mère qui meurt en embrassant ses bébés. Son mari arrive, se met à la poursuite d'Edom de Gordon, et le massacre avec toute son escorte. Puis, revenant vers les masses br?lantes où est enseveli tout ce qu'il aime, il s'y précipite. Il ne reste dans cette scène de carnage que la jeune fille étendue sur l'herbe. Une autre ballade sur un sujet analogue, l'Incendie de Frendraught, est peut-être pire encore. Une troupe d'hommes, à qui on a donné l'hospitalité après une fausse réconciliation, est enfermée dans une tour à laquelle le feu est mis. Il y a un passage où un d'entre eux crie, à travers les barreaux de fer de la fenêtre, ses dernières recommandations, tandis que son corps est consumé, qui est une chose horrible.

Je ne puis pas sauter, je ne puis pas sortir,

Je ne puis arriver à toi,

Ma tête est prise dans les barreaux de la fenêtre,

Mes pieds br?lés se détachent de moi.

Mes yeux bouillent dans ma tête,

Ma chair aussi est r?tie,

Mes entrailles bouillent avec mon sang,

N'est-ce pas une horrible angoisse?

Prends les bagues de mes doigts blancs,

Qui sont si longs et étroits,

Et donne-les à ma belle Dame,

Là où elle est assise dans son chateau.

Je ne puis pas sauter, je ne puis pas sortir,

Je ne puis pas sauter vers toi,

Ma partie terrestre est toute consumée,

Ce n'est plus que mon ame qui te parle[35].

Ces atrocités justifient le jugement de Prescott: ?Bien que les scènes des plus vieilles ballades soient empruntées au XIVe siècle, les m?urs qu'elles accusent ne sont pas supérieures à celles de nos sauvages de l'Amérique du Sud.[36]?

à ces tueries d'armées ou de clans, à ces forfaits de bandes de brigands, s'ajoutent des drames de famille. Une maratre empoisonne sa belle-fille[37]. Une femme tue son mari parce qu'il l'a insultée[38]. Un frère tue sa s?ur parce qu'on ne lui a pas demandé son consentement pour son mariage[39]. Une fille d'écosse est devenue enceinte d'un seigneur anglais; son père furieux la fait mettre sur un b?cher[40]. Une mère empoisonne son fils parce qu'il a épousé une femme contre son gré[41]. L'amour surtout, exaspérant ces vies violentes, les lance dans des aventures plus violentes encore. Les femmes ont l'énergie, les emportements de sentiments et d'actes, des males. Elles n'hésitent devant rien, ni devant les fatigues, ni devant les périls. Les enlèvements sont fréquents. Les amants s'enfuient à cheval; le père et les frères les poursuivent, les rattrapent; on s'arrête, on tire les épées, on se bat sur la bruyère.

Les épées furent tirées des fourreaux,

Et ils se précipitèrent au combat,

Et rouge et rosé était le sang

Qui coula sur le talus semé de lis[42].

Parfois l'amant triomphe laissant les frères étendus sur le sol.

Il appuya son dos contre un chêne,

Et assura ses pieds sur une pierre;

Et il a combattu contre ces quinze hommes,

Et il les a tués tous hormis un seul;

Mais il a épargné le chevalier agé

Pour rapporter les nouvelles au chateau.

Quand il eut rejoint sa belle dame,

Je pense qu'il l'embrassa tendrement:

?Tu es mon amour, je t'ai gagnée,

Et nous parcourrons librement la forêt verte.?[43]

Il arrive aussi que l'amant s'éloigne blessé mortellement. C'est le sujet de la plus célèbre et de la plus touchante de ces ballades, the Douglas Tragedy.

Il la mit sur un cheval blanc comme lait,

Et lui-même sur un cheval gris pommelé;

Un cor de chasse pendait à son c?té,

Et ils s'éloignèrent, chevauchant légèrement.

Lord William regardait par-dessus son épaule gauche,

Il regardait pour voir ce qu'il pouvait voir;

Et il aper?ut le père et les frères hardis de sa bien-aimée,

Qui accouraient à cheval sur la plaine.

?Descends, descends, lady Margaret, dit-il,

Et tiens mon cheval de ta main,

Pendant que contre tes sept frères hardis

Et ton père, je ferai tête?.

Elle tint son cheval de sa main blanche comme le lait,

Elle ne parla point, ne versa pas une larme,

Jusqu'à ce qu'elle vit ses sept frères tomber,

Et le sang de son père très cher.

?Oh, retiens ta main, lord William, dit-elle,

Car tes coups sont merveilleusement terribles;

Je puis trouver un autre amant fidèle,

Mais un père, je n'en puis trouver un autre?.

Oh! elle a défait son mouchoir de son col;

Il était de toile de Hollande fine;

Et elle a essuyé les blessures de son père,

Qui étaient plus rouges que le vin.

?Oh choisis, oh choisis, lady Margaret, lui dit lord William

Oh! veux-tu venir ou rester??

?Je te suis, je te suis, lord William, dit-elle,

Tu ne m'as pas laissé d'autre guide?.

Il la mit sur le cheval blanc comme lait,

Et lui-même sur le cheval gris pommelé;

Un cor de chasse pendait à son c?té,

Et ils s'éloignèrent, chevauchant lentement.

Oh, ils chevauchèrent lentement et tristement,

Sous la lueur de la lune;

Ils chevauchèrent, et arrivèrent à cette rivière pale,

Et là ils descendirent de cheval.

Ils descendirent pour boire de l'eau

à la rivière qui coulait si claire,

Et dans le courant tomba le meilleur sang de son c?ur,

Et lady Margaret fut effrayée.

?Redresse-toi, redresse-toi, lord William, dit-elle,

Car je crains que tu ne sois blessé à mort?.

?Ce n'est que l'ombre de mon manteau rouge

Qui brille si nettement dans l'eau?.

Oh, ils chevauchèrent lentement et tristement,

Sous la lueur de la lune,

Jusqu'à ce qu'ils arrivèrent à la porte du chateau de sa mère,

Et là ils descendirent de cheval.

?Oh! fais mon lit, madame ma mère, dit-il,

Oh! fais mon lit large et profond!

Et mets lady Margaret près de moi;

Nous allons dormir tous deux profondément?.

Lord William était mort longtemps avant minuit,

Lady Margaret était morte longtemps avant l'aurore.

Que tous les vrais amants qui s'en vont ensemble

Puissent avoir meilleure fortune qu'eux[44].

Ailleurs, ce sont des vengeances: deux frères épris de la même fiancée se battent et s'égorgent[45], des femmes jalouses ou trahies empoisonnent ou poignardent leurs rivales, comme dans cette ballade où une fiancée, abandonnée devant l'autel, tue celle qui lui est préférée.

La fiancée tira un long poignard,

De sa coiffure brillante,

Et frappa au c?ur la belle Annie,

Qui ne dit jamais plus une parole.

Le doux William vit la belle Annie palir,

Et s'étonna de ce que cela était;

Mais quand il vit le cher sang de son c?ur,

Il devint courroucé furieusement.

Il tira sa dague qui était si aigu?,

Qui était si aigu? et per?ante,

Et la plongea dans la fiancée aux cheveux chatains,

Qui tomba à ses pieds morte.

?Attends-moi, chère Annie, dit-il,

Attends-moi, ma chérie?, s'écria-t-il,

Puis se mit la dague dans le c?ur,

Et tomba mort à ses c?tés[46].

Parfois ces éperdues s'en prennent à celui qui les trahit. La ma?tresse de lord William lui demande une dernière entrevue.

?Si votre amour est changé, dit-elle,

Et si les choses sont ainsi,

Du moins, venez, pour l'amour du passé,

Venez go?ter le vin avec moi?.

?Je ne resterai pas, je ne puis pas rester,

Pour boire le vin avec toi;

Une dame que j'aime bien plus

M'attend en ce moment?.

Il se baissa sur son ar?on,

Pour l'embrasser avant de se séparer;

Et, avec un poignard aigu et mince,

Elle lui per?a le c?ur.

?Chevauche, maintenant, lord William, chevauche,

Aussi vite que tu peux chevaucher;

Ta nouvelle amoureuse, près du puits de St-Brannan,

S'étonnera que tu sois en retard?.[47]

Tout ce monde vit, prêt à tuer ou à mourir, constamment. Ces hommes rentrent avec du sang à leur épée ou sur leurs mains.

?Pourquoi votre épée dégoutte-t-elle de sang,

Edward, Edward!

Pourquoi votre épée dégoutte-t-elle de sang,

Et pourquoi allez-vous si triste, ???

?Oh, j'ai tué mon faucon si brave!

Ma mère, ma mère!

Oh, j'ai tué mon faucon si brave,

Et je n'avais que celui-là?.

?Le sang de votre faucon n'était pas si rouge,

Edward! Edward!

Le sang de votre faucon n'était pas si rouge,

Mon cher fils, je te le dis, ?[48]?.

Ou encore cette scène:

Il est allé à la chambre de Margerie,

Et il a frappé à la porte, ?;

?Oh, ouvre, ouvre, lady Margerie,

Ouvre et laisse-moi entrer, ?.

Avec ses pieds aussi blancs que la grêle.

Elle marcha à l'intérieur, ?,

Et avec ses doigts longs et effilés,

Elle laissa entrer le doux Willie, ?.

Elle se baissa vers ses pieds,

Pour dénouer les souliers du doux Willie, ?;

Les boucles étaient roides de sang,

Qui avait découlé largement sur elles.

?Quelle vue horrible est ceci, mon amour,

Est ceci que j'aper?ois, ??

Quel est ce sang dont vous êtes couvert?

Je vous prie, dites-le moi, ?.

?Comme je venais par les bois, cette nuit,

Un loup m'a attaqué, ?;

Oh! devais-je tuer le loup, Margerie?

Ou devait-il m'attaquer, ???

?? Willie, ? Willie, je crains

Que tu ne m'aies engendré peine et chagrin;

L'acte que tu as commis cette nuit

Sera connu demain matin?.[49]

Presque toutes ces aventures se terminent tragiquement, il y a toujours du sang dans les dernières strophes de ces ballades. Ce sont des chants dont la muse est la mort. Quand on lit ces recueils, on ne rencontre que des cadavres. Au-dessus de toute cette poésie plane la joie lugubre des deux corbeaux de la terrible ballade.

Il y avait deux corbeaux perchés sur un arbre,

Gros et noirs, aussi noirs qu'il est possible;

Et l'un commence à dire à l'autre:

?Où irons-nous d?ner aujourd'hui?

D?nerons-nous près de la vaste mer salée?

D?nerons-nous sous l'arbre au feuillage vert??

?Viens, je te montrerai un spectacle très doux,

Une glen solitaire et un chevalier fra?chement tué;

Son sang est encore tiède sur l'herbe,

Son épée à demi tirée, ses flèches dans le carquois,

Et personne ne sait qu'il est étendu là,

Sinon son faucon, son chien et sa ma?tresse.

?Nous nous poserons sur sa clavicule,

Nous arracherons ses jolis yeux bleus,

Nous ferons une tresse de ses cheveux dorés,

Pour garnir notre nid quand il se dénudera,

Et le duvet d'or sur son jeune menton,

Nous en envelopperons nos petits.

Oh! froid et nu sera son lit,

Quand les orages d'hiver chanteront dans les arbres;

à sa tête le gazon, à ses pieds une pierre;

Il dormira, il n'entendra plus les plaintes de la jeune fille;

Par dessus ses os blanchis, les oiseaux voleront,

Les daims sauvages bondiront, les renards glapiront.[50]

Les imaginations romanesques, les rêveries poétiques, les superstitions pa?ennes ou chrétiennes du moyen-age, se mélangent à ces événements, et en accroissent encore l'étrangeté. Les jeunes filles montent au sommet de leur tour quand arrive le chevalier qu'elles aiment[51]. Des amants se réfugient dans les profondeurs vertes des forêts, et y mènent une vie qui fait penser aux exilés de Comme il vous plaira[52]. D'autres fois des outlaws ravissent des jeunes filles, et les entra?nent dans leurs retraites[53]. Des oiseaux se chargent des messages entre les amants[54]. Lorsqu'un crime est commis, il est miraculeusement révélé. Une ma?tresse assassine son amant et jette son corps dans la Clyde. Mais un papegai perché sur un arbre a tout vu.

Ainsi parla le papegai,

En voltigeant au-dessus de sa tête:

?Dame, garde bien ta robe verte,

Garde-la bien de ce sang si rouge?.

?Oh, je garderai ma robe verte,

Je la garderai de ce sang si rouge,

Mieux que tu ne peux garder ta langue

Qui bavarde dans ta tête.

Mais descends, ? bel oiseau,

Ne voltige plus d'arbre en arbre,

Je te donnerai une cage d'or,

Et de pain blanc te nourrirai?.

?Gardez votre cage d'or, dame,

Et je garderai mon arbre;

Car, comme vous avez fait à lord William,

Ainsi me feriez-vous.?[55]

Et plus tard il dénonce la coupable. Une s?ur, jalouse de sa jeune s?ur, la noie. Un joueur de harpe fait, avec la clavicule de la morte, une harpe qu'il tend de trois boucles de sa chevelure dorée; la harpe joue seule et prononce le nom de la méchante s?ur[56]. Pendant une veillée mortuaire, une lykewake, auprès du corps d'une jeune fille assassinée, le corps parle pour nommer l'assassin.

Avec les portes entr'ouvertes, et des chandelles allumées,

Et des torches qui br?laient clair,

Le corps fut étendu; jusqu'au calme minuit,

Ils veillèrent, mais rien n'entendirent.

Vers le milieu de la nuit,

Les coqs commencèrent à chanter;

Et à l'heure sombre de la nuit,

Le corps commen?a à bouger.

?Oh, qui t'a fait mal, s?ur,

Et a osé ce péché odieux?

Qui a été assez hardi et n'a pas crain

De te jeter dans la cascade??

?Le jeune Benjie a été le premier homme

à qui j'aie donné mon c?ur;

Il était si hardi et hautain de c?ur;

Il m'a jeté dans la cascade?.[57]

La fille du ministre de Newarke accouche en secret et tue ses deux enfants. En rentrant elle rencontre deux enfants qui jouent à la balle; elle leur parle. Ils lui reprochent qu'elles les a tués, et lui disent qu'elle ira en enfer[58]. Les fant?mes de ceux qui ont été tués reparaissent[59]. Parfois ce sont de véritables contes de fées. Ce sont des batailles de chevaliers contre des géants ou des monstres[60]. Ce sont des anneaux enchantés. L'amante donne à l'amant, ou l'amant à l'amante, une bague dont les diamants se terniront, si celui ou celle qui l'a donnée est infidèle ou meurt; et un jour la bague s'éteint[61]. Ce sont des jeunes filles enfermées par un sortilège sous la forme d'une bête hideuse, et qui ne seront délivrées que si un chevalier consent à les embrasser[62]. La reine des Fées s'éprend de Thomas le Rimeur, et le garde pendant sept ans, dans des vergers merveilleux; il se réveille un jour au pied de l'arbre où il s'était endormi[63]. Un chevalier ressuscite son amie en lui mettant sur les yeux deux gouttes du sang de St Paul[64].

Que ce soit à cause de l'héro?sme, de la superstition ou de la cruauté, lorsqu'on lit un recueil de ces ballades, on est violemment transporté dans une autre vie, qui sans doute a existé, mais qui certainement n'existe plus depuis longtemps. On sent qu'on est dans une vie violente, romanesque, périlleuse, surpassant la n?tre en forfaits et en exploits, mais, à coup s?r, une vie qu'aucun homme moderne n'a vécue, ni vu vivre. On est dans l'histoire ou dans le roman, et, que ce soit l'un ou l'autre, hors de la réalité.

Ces récits, dont la trame est faite d'aventures extraordinaires, sont encore rendus plus archa?ques par les broderies dont ils sont couverts. Celles-ci les font ressembler davantage à d'anciennes étoffes, semées d'attributs, historiées de motifs dans le go?t d'une autre époque, et brochées d'une profusion d'or et d'argent que notre temps ne comporte plus. Chacun de ces accessoires accentue la date de ces poèmes, et les rejette plus loin de nous. Parfois, cet effet est produit par quelque motif na?f et tout fait. Quand un jeune homme enlève une jeune fille, il monte toujours un cheval gris pommelé, et elle, un cheval blanc comme lait[65]. Lorsque deux amants sont ensevelis l'un près de l'autre, il sort un églantier de la tombe de l'amant et un rosier de celle de la ma?tresse.

Lord William fut enseveli dans l'église de Ste-Marie,

Lady Margaret dans le ch?ur de Ste-Marie;

Hors de la tombe de la dame, poussa une rose rouge,

Et hors de celle du chevalier poussa un églantier.

Et tous deux se rencontrèrent et s'enlacèrent,

Comme s'ils désiraient être près l'un de l'autre,

De sorte que tout le monde put conna?tre clairement

Qu'ils poussaient de deux amants qui s'étaient chéris[66].

C'est là un des détails qui reviennent constamment et appartiennent à tous les faiseurs de ballades. Presque toujours, il y a cette prodigalité de métaux et de pierres précieuses, qui indique qu'on est dans le rêve et qu'on puise à des coffres inépuisables. On sent que l'imagination se grise de richesses. Les chevaux sont ferrés d'argent aux pieds de devant, et ferrés d'or aux pieds de derrière; ils portent à la crinière des clochettes d'argent qui tintent à chaque pas[67]. Les jeunes filles lissent leurs cheveux avec des peignes d'argent. On étend des tapis de drap d'or du chateau à l'église, pour que la fiancée ne marche pas sur le sol[68]. De toutes parts, passent des cortèges de mariage, brillants, vêtus de cramoisi et de vert[69]; tous les cavaliers portent sur le poing un faucon; toutes les dames tiennent une guirlande[70]. Quoi de plus délicatement étincelant que cette description:

Son palefroi était un gris pommelé,

Je n'ai jamais vu son pareil;

Comme brille le soleil un jour d'été,

Cette belle dame elle-même brillait.

Sa selle était d'ivoire pur,

C'était une vue très belle à voir!

Ornée et raide de pierres précieuses,

Tout entourées de cramoisi.

Des perles d'Orient, en grande quantité;

Sa chevelure tombait autour de sa tête;

Elle chevauchait sur la pelouse de fougères,

Tant?t elle sonnait du cor, et tant?t chantait.

Les sangles étaient de riche soie,

Les boucles étaient de béryl,

Ses étriers étaient de clair cristal,

Et tout couverts de perles.

Le poitrail était d'acier fin,

La croupière était d'orfèvrerie,

La bride était d'or fin,

De chaque c?té, trois clochettes pendaient.

Elle conduisait en laisse trois lévriers,

Et sept braques couraient à ses pieds;

Je ne voulais pas me hater de lui parler,

Son front était blanc comme un cygne.

Elle portait un cor pendu au col,

Et au-dessous de sa taille mainte flèche,

En vérité, mes seigneurs, comme je vous le dis,

Ainsi était habillée cette belle dame[71].

Ou bien encore qu'on lise cette jolie peinture, qui transporte dans la fantaisie le fait très simple d'une ma?tresse à la recherche de son amant.

Oh! je vais chercher un charpentier,

Pour me construire un navire,

Et je chercherai de hardis matelots,

Pour naviguer avec moi sur la mer...

Son père lui fit construire un navire,

Et le gréa très royalement;

Les voiles étaient de soie vert pale,

Et les cables de taffetas;

Les mats étaient faits d'or bruni,

Et brillaient au loin sur la mer,

Les bordages étaient richement incrustés

De nacre et d'ivoire.

à chaque amure qu'il y avait,

Pendait une clochette d'argent

Qui tintait doucement à la brise,

Ou à la houle enflée de la mer salée[72].

Les fonds achèvent cette impression. On y aper?oit des paysages irréels. Parfois, ce sont des fabriques fantastiques. C'est, par-delà une mer courroucée, un chateau avec une haute tour au toit d'étain:

Quand elle vit la tour majestueuse

Luire claire et brillante,

Qui se tenait au-dessus des vagues ouvertes,

Batie sur un roc élevé[73].

Ou bien c'est la fa?ade d'un chateau féodal:

Il y a un beau chateau, bati de chaux et de pierre,

Oh! n'est-il pas bati plaisamment?

Sur le devant de ce beau chateau,

Il y a deux unicornes beaux à voir[74].

Le plus souvent, comme dans les vieilles tapisseries, ce sont des verdures, des fonds de feuillage. Voici le verger où la reine des fées conduit Thomas d'Ercildoune:

Elle le conduisit dans un beau verger,

Où les fruits croissaient en grande abondance;

Les poires et les pommes étaient m?res,

La datte, et aussi le damas;

La figue et aussi les grappes de la vigne;

Les rossignols reposaient sur leurs nids,

Les papegais drus commen?aient à voler ?à et là,

Et la chanson des grives ne voulait pas cesser[75].

N'est-ce pas là vraiment un arrière-plan d'ancienne tenture aux frondaisons semées de fruits et d'oiseaux? Ce sont aussi des fonds de forêts, dans lesquelles passent des cerfs, des chasseurs vêtus de vert, l'arc à la main, suivis de leurs bons chiens gris.

Johnie regarda vers l'est, et Johnie regarda vers l'ouest,

Et un peu au-dessous du soleil;

Et là il aper?ut un cerf brun qui dormait,

Sous un buisson de genêts.

Johnie tira, et le cerf brun bondit,

Et il le blessa au flanc,

Et, entre l'étang et le bois,

Ses chiens abattirent la bête fière[76].

Dans les profondeurs de ces ramées, il y a d'étonnantes évocations de la vie libre que les outlaws menaient dans les grands bois. Quel tableau en quelques strophes que celui-ci, d'une forêt tout animée par les bonds des fauves, et sonore de la détente des arcs.

La forêt d'Ettrick est une belle forêt,

Il y pousse maint arbre de haute taille;

Il y a cerf et biche et daine et chevreuil,

Et de toutes bêtes sauvages grande plenté.

James Boyd prit congé du noble roi,

Vers la belle forêt d'Ettrick il arriva;

Quand il descendit la pente de Birkendale,

Il vit la belle forêt de ses yeux.

Il vit chevreuil et daine et cerf et biche,

Et de toutes bêtes sauvages grande plenté;

Il entendit les arcs qui hardiment résonnaient

Et les flèches qui bruissaient auprès de lui[77].

Toute cette littérature de ballades est donc, pour le fonds et la forme, en dehors et au-dessus des conditions ordinaires de la vie. On y trouve plut?t la légende et le rêve que l'observation et la réalité. Non-seulement elle parle d'aventures et d'usages que nous ne connaissons plus, mais il est peu probable qu'elle ait été elle-même exactement contemporaine des faits qu'elle célèbre. Elles ont été composées sur des événements qui semblaient extraordinaires, même en ces temps violents, et alors vraisemblablement qu'ils avaient déjà quelque chose de légendaire et de lointain. C'est une littérature héro?que et fabuleuse, qui sort des proportions communes. Elle a été créée, pendant des siècles grossiers où le livre n'existait pas, pour satisfaire le besoin de romanesque qui vit dans les c?urs humains les plus frustes.

C'est là un point important et qu'il était utile de bien dégager, car on ne comprendrait pas autrement pourquoi Burns a si peu go?té cette partie importante de la littérature de sa patrie. Il avait l'ame passionnée, et non romanesque. Il fallait, en tout ce qu'il faisait, qu'il se sent?t, entre les mains, de la réalité, quelque chose de présent et d'immédiat. Son éducation littéraire s'était formée à regarder la vie et les gens qui l'entouraient. Son génie était fait d'observation, bien plus que d'imagination. Il avait l'esprit net et pratique, il ne l'avait jamais exercé à se transporter dans d'autres temps. Il ne savait pas vivre parmi d'autres hommes que des hommes réels et vivants.

Aussi son admiration pour les ballades ne tient-elle pas beaucoup de place. Il dit bien: ?Il y a une noble sublimité, une tendresse qui fond le c?ur, dans quelques-unes de nos anciennes ballades, qui dénotent qu'elles sont l'?uvre d'une ma?tresse main[78]?. Mais c'est à peu près la seule marque d'enthousiasme que les ballades aient obtenue de lui, et elle date de sa jeunesse. Tandis qu'il savait presque toutes les chansons écossaises, et qu'il était infatigable à recueillir les chansons nouvelles qu'il rencontrait, il semble ne faire aucun cas des ballades et les laisse échapper. Il écrivait à William Tytler de Woodhouselee, grand amateur de vieilles poésies, en lui en envoyant quelques-unes, une lettre qui est très significative à cet égard:

?Je vous envoie ci-inclus un échantillon des vieux morceaux qu'on peut encore trouver parmi nos paysans de l'Ouest. Je possédais jadis bon nombre de fragments pareils, et quelques-uns plus complets, mais, comme je n'avais pas la moindre idée que quelqu'un p?t se soucier d'eux, je les ai oubliés. Je considère fermement comme un sacrilège de rien ajouter qui soit de moi pour rétablir les épaves disloquées de ces vénérables vieilles compositions; mais elles ont maintes versions différentes. Si vous n'avez pas déjà vu celles-ci, je sais qu'elles flatteront vos sentiments calédoniens qui sont dans le bon vieux style[79].?

Il y a, dans ces derniers mots, l'indulgence qu'on a pour une manie inoffensive. Plus tard, dans sa correspondance avec Thomson, il le dissuade d'admettre dans son recueil une des plus célèbres ballades, celle même qui avait fourni le sujet de la tragédie de Douglas:

?Je suis inflexiblement pour exclure Gil Morice en entier. Il est d'une maudite longueur qui fera faire une grande dépense d'impression; l'air lui-même ne se chante jamais; une ou deux bonnes vieilles chansons en tiendront bien la place[80].?

Pour faire contraste, il n'y a qu'à rapprocher la fa?on dont Gray parlait de cette même ballade, et comparer son enthousiasme à la froideur de Burns. ?Je me suis procuré la vieille ballade écossaise sur laquelle Douglas est fondé; elle est divine et aussi longue que d'ici (Cambridge) à Aston, ne l'avez-vous jamais vue? Les meilleures règles d'Aristote y sont observées, d'une manière qui prouve que l'auteur n'avait jamais lu Aristote. Vous pouvez en lire les deux tiers sans deviner de quoi il s'agit, et cependant, quand vous arrivez à la fin, il est impossible de ne pas comprendre l'histoire tout entière.[81]?On sent toute la différence.

Dans ces dispositions, il n'est pas étonnant que Burns ait peu imité les ballades et que leur influence soit très faiblement marquée dans son ?uvre. à peine ?à et là une imitation, comme Lady Mary Ann ou Lord Gregory. On n'en compterait pas plus d'une demi-douzaine, pas même autant peut-être. La fa?on dont elles sont faites est encore plus instructive que leur rareté. Toute la partie narrative, toute la partie pittoresque ou merveilleuse, en un mot, tout ce qui est d'un autre temps, est supprimé. Il n'y a de conservé que la partie de sentiment, laquelle est de toutes les époques. Lord Gregory est emprunté à une très dramatique et très belle ballade intitulée: La jolie fille de Lochryan. Il suffit de comparer les deux morceaux pour voir ce que Burns a conservé du modèle.

La ballade, telle qu'on la trouve dans le recueil de Herd, publié en 1769, et par conséquent bien connu de Burns, s'ouvre par les plaintes d'une jeune fille abandonnée par Lord Gregory. Elle veut aller à sa recherche, et elle se fait construire un navire, dont la peinture a la somptuosité de couleur habituelle.

Alors, elle a fait construire un beau navire.

Il est tout couvert de perle,

Et à chaque amure

Pendait une sonnette d'argent.

La pauvre abandonnée part sur la mer pour chercher Lord Gregory, en quelque lieu qu'il se trouve. Quelque chose de l'inattendu des anciennes navigations appara?t. Elle rencontre un rude r?deur de mers qui lui demande:

??, es-tu la Reine elle-même,

Ou une de ses trois Maries,

Ou bien es-tu la fille de Lochryan,

Cherchant son cher Gregory??

??, je ne suis pas la Reine elle-même,

Ou une de ses trois Maries,

Mais je suis la fille de Lochryan,

Cherchant son cher Gregory?.

Et le rude r?deur, touché sans doute, lui montre une tour recouverte d'étain où se tient Lord Gregory. Elle y aborde, et agite l'anneau sur la barre de fer tordu qui tenait lieu autrefois de marteau aux portes. Elle le supplie ainsi:

??, ouvre, ouvre, aimé Gregory,

Ouvre et laisse-moi entrer.

Car je suis la fille de Lochryan,

Bannie de tous les siens?.

Mais la méchante mère de Lord Gregory lui répond de l'intérieur, en imitant la voix de son fils, et lui demande, pour lui prouver qu'elle est bien la fille de Lochryan, de lui dire ce qui s'est passé entre eux deux. La pauvre fille répond d'une fa?on touchante, en des strophes où le souvenir des jours passés se mêle à l'angoisse présente.

?Ne te souviens-tu pas, aimé Gregory,

Comme nous étions assis, au moment du vin,

Que nous échangeames nos anneaux de nos mains,

Et que le meilleur était le mien?

Car le mien était de bon or rouge,

Mais le tien était d'étain;

Et le mien était vrai et fidèle,

Et le tien était faux dedans.

Et ne te souviens-tu pas, aimé Gregory,

Comme nous étions assis sur la colline,

Que tu m'as enlevé ma virginité,

Très durement, contre mon vouloir.

Maintenant, ouvre, ouvre, aimé Gregory,

Ouvre et laisse-moi entrer,

Car la pluie pleut sur mes bons vêtements,

Et la rosée coule sur mon menton.?

La méchante femme lui redemande d'autres preuves, comme si celles-là ne suffisaient pas. Et la pauvre demoiselle, découragée, l'ame navrée, renonce à la convaincre.

Alors elle s'est retournée:

?Puisqu'il en est ainsi,

Puisse aucune femme qui a porté un fils

N'avoir jamais un c?ur si plein d'angoisse.

Abaissez, abaissez ce mat d'or,

Dressez un mat de bois,

Car il ne convient pas à une dame délaissée

De naviguer si royalement.?

Elle s'éloigne. Le fils s'éveille, et raconte à sa mère qu'il a rêvé que la fille de Lochryan était à la porte. La mère lui dit qu'en effet elle était là il y a une heure, et qu'il peut continuer à dormir. Le fils repousse la méchante femme qui ne l'a pas laissée entrer. Et la fin de la pièce a toute la fantaisie romantique et touchante qui est le charme de ces ballades.

?Faites-moi seller le noir, dit-il,

Faites-moi seller le bai brun,

Faites-moi seller le cheval le plus vite,

Qui est dans toute la ville.?

Or, dans la première ville où il arriva,

Les cloches sonnaient,

Et la seconde ville où il arriva

La morte y arrivait.

?Déposez, déposez ce corps aimable,

Déposez-le, laissez-moi voir

Si c'est la fille de Lochryan

Qui est morte par amour pour moi.?

Et il prit son petit couteau

Qui pendait à sa basque,

Et il a fendu le linceul,

Une longueur d'aune ou davantage.

Et d'abord il baisa sa rouge joue,

Et puis il baisa son menton,

Et puis il baisa ses lèvres rosées

Où il n'y avait plus d'haleine.

Et il a pris son petit couteau,

Avec un c?ur qui était tout navré,

Et il s'est donné une blessure mortelle,

Et il ne parla jamais plus un mot.

Quelles que soient les na?vetés d'un pareil morceau, quels que soient les accrocs et les raccords grossiers qu'on trouve dans cette vieille étoffe et qui sont le fait des transmissions successives, il y a là une poésie simple, pleine de couleur et d'émotion.

Que reste-t-il de ce rêve dans Burns? Presque rien. Tout ce que cette navigation du début a d'étrange et de pittoresque, ces visions de mer et de vieux chateaux, qui rappellent les ruines qu'on voit sur tant de promontoires écossais, cette poursuite douloureuse de la fin, tout a disparu. Il a supprimé la partie imaginative, le récit, en réalité ce qui constitue la ballade. Il n'a conservé que la partie de sentiment, qui est de tous les temps, le cri de la femme chassée de la maison paternelle, qui vient frapper à la porte du séducteur. En un mot, il a transformé la ballade en une simple chanson.

?Oh! sombre, sombre est cette heure de minuit,

Et bruyant le mugissement de la tempête,

Une femme errante, désolée, cherche ta tour,

Ouvre ta porte, Lord Gregory.

Une exilée du chateau paternel,

Et cela pour t'avoir aimé;

Montre-moi du moins quelque pitié,

Si ce ne peut être de l'amour.

Lord Gregory, ne te rappelles-tu pas le bosquet

Sur les bords charmants de l'Irwin,

Où, pour la première fois, j'avouai cet amour virginal

Que longtemps, longtemps, j'avais nié.

Que de fois m'as-tu promis et juré

Que tu serais pour jamais à moi;

Et mon pauvre c?ur, lui-même si sincère,

N'a jamais soup?onné le tien.

Dur est ton c?ur, Lord Gregory,

Et ta poitrine est un roc;

Foudres du ciel, qui me fr?lez en passant,

Oh! ne me donnerez-vous pas le repos?

Vous, tonnerres, ramassés dans le ciel,

Voyez la victime qui s'offre à vous!

Mais, épargnez-le, pardonnez à mon faux ami

Ses torts envers le ciel et envers moi[82].?

à coup s?r, cette chanson est touchante aussi. Elle est moins brutale, plus riche en nuances de sentiment, d'une psychologie plus subtile et plus délicate, que le passage analogue de la ballade. Mais c'est tout ce qui en reste. On a beau dire que, dans le cas présent, Burns était lié par les nécessités du recueil de Thomson. C'est assez qu'il n'ait été inspiré par les ballades populaires que dans cette mesure pour montrer qu'il les go?tait peu, et qu'elles n'ont pas été une des sources de sa poésie.

Cela est d'autant plus significatif que, d'un bout à l'autre du XVIIIe siècle, ces ballades ont été l'objet de nombreuses imitations dont quelques-unes sont des chefs-d'?uvre. Dès le commencement du siècle, avant même l'article d'Addison sur Chevy Chase, et le recueil d'Allan Ramsay, lady Wardlaw composait la fameuse ballade de Hardyknute. Lady Wardlaw fut, avec lady Grizzel Baillie, au début de cette lignée de femmes poètes qui, passant par Mrs Cockburn, Miss Jane Elliot, Miss Blamire, la misérable Jane Glover, Miss Cranston, qui devint Mrs Dugald Stewart, Miss Hamilton, lady Anne Barnard, aboutit à la baronne de Nairne et à Miss Joanna Baillie. En 1723, David Mallet, qui s'appelait alors Malloch et n'avait pas encore changé son nom écossais en nom anglais, écrivait sa jolie ballade de William et Margaret. Vers 1748, William Hamilton composait sa ballade Les bords du Yarrow, qui a bien la saveur des anciennes poésies. En 1755, John Home tirait de la ballade de Gil Morice le sujet de sa tragédie de Douglas. En 1770, paraissait, dans les poésies du pauvre Michael Bruce, la ballade de Sir James. Vers 1775, Julius Mickle publiait sa ballade de Cumnor-Hall, qui a inspiré à Walter Scott le roman de Kenilworth. Ainsi, avant Burns et tout autour de lui, les imitations d'anciennes poésies foisonnaient. Elles ne rendent pas toujours la couleur, l'apre accent et la forte simplicité de leurs modèles. Le XVIIIe siècle n'était pas fait pour réussir dans ces qualités. Ce qu'elles imitaient surtout était le romanesque, et elles le transformaient parfois étrangement. Mais elles conduisaient vers le moment où ces anciennes ballades devaient fournir leur influence entière, et agir aussi par leur élément pittoresque et martial. Le petit gar?on boiteux que Burns avait vu à édimbourg devenait un jeune homme. Il allait entreprendre ses courses à cheval, le long des borders, recueillant dans les fermes, dans les huttes de bergers, sous les bois, au coin des feux de tourbe, des fragments de ballades et de légendes. La Minstrelsy des Borders allait être publiée en 1802, huit ans après la mort de Burns. Et la poésie tout entière de Walter Scott, avec son pittoresque brillant, son accent guerrier, son bruit d'armes, son allure martiale, quelque chose qui sent l'action et l'ardent, est sortie de la Minstrelsy. Les ballades ont trouvé, dans Le chant du Dernier Ménestrel et dans Rokeby, leur point culminant, et aussi leur point d'arrêt. Burns a donc vécu au milieu d'elles, au milieu des imitations qu'elles inspiraient. S'il ne s'est pas prévalu d'elles pour y trouver un motif sur lequel exercer son génie, c'est que son go?t ne l'y portait pas. Nous en avons vu les raisons.[Lien vers la Table des matières.]

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Robert Burns
1

Chapter 1 LES VIEILLES BALLADES[18].

06/12/2017

2

Chapter 2 LES VIEILLES CHANSONS.[83]

06/12/2017

3

Chapter 3 LES PETITS POèMES POPULAIRES.

06/12/2017

4

Chapter 4 L'OBSERVATION DIRECTE ET LE MOUVEMENT.

06/12/2017

5

Chapter 5 L'HUMOUR DE BURNS.

06/12/2017

6

Chapter 6 QUE LE GéNIE DE BURNS ABOUTISSAIT AU THéTRE.

06/12/2017

7

Chapter 7 LES ASPECTS NOBLES DE LA VIE. - L'éCHO DE LA RéVOLUTION FRAN AISE. - BURNS POèTE DE LA LIBERTé ET DE L'éGALITé. - LA POéSIE DES HUMBLES.

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8

Chapter 8 LA POéSIE DE L'AMOUR.

06/12/2017

9

Chapter 9 LA COMéDIE DE L'AMOUR.

06/12/2017

10

Chapter 10 CE QUE BURNS A VU DE LA NATURE.

06/12/2017

11

Chapter 11 LA TENDRESSE POUR LES BêTES.

06/12/2017

12

Chapter 12 OUVRAGES SUR LE DIALECTE éCOSSAIS DES BASSES-TERRES ET LA LANGUE DE BURNS.

06/12/2017

13

Chapter 13 PRINCIPALES éDITIONS DE BURNS, ET PRINCIPALES BIOGRAPHIES.

06/12/2017

14

Chapter 14 RENSEIGNEMENTS SUR LA FAMILLE DE BURNS, SUR DES PéRIODES PARTICULIèRES DE SA VIE, SES CONTEMPORAINS. DOCUMENTS DIVERS.

06/12/2017

15

Chapter 15 LA CONTRéE DE BURNS.

06/12/2017

16

Chapter 16 PRINCIPAUX ARTICLES DE CRITIQUE MORALE OU LITTéRAIRE SUR BURNS. DISCOURS. - VERS.

06/12/2017

17

Chapter 17 HISTOIRES GéNéRALES

06/12/2017

18

Chapter 18 LA VIE RELIGIEUSE, LA RéFORME, LE PRESBYTéRIANISME. L'ORGANISATION DU CLERGé, LA DISCIPLINE, LE MOUVEMENT D'éMANCIPATION.

06/12/2017

19

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20

Chapter 20 DESCRIPTION DU PAYS éCOSSAIS. LES BORDERS. - LA COTE OUEST. - LES HAUTES-TERRES. - SITES ET SOUVENIRS HISTORIQUES.

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21

Chapter 21 OUVRAGES SUR LES M URS, LES HABITUDES, RECUEILS D'ANECDOTES, ROMANS QUI SERVENT à SE FORMER UNE IDéE DE LA CONDITION ET DE LA VIE DU PEUPLE.

06/12/2017

22

Chapter 22 HISTOIRE LITTéRAIRE DE L'éCOSSE. CHANSONS, BALLADES, PETITS POèMES. SUCCESSEURS DE BURNS.

06/12/2017

23

Chapter 23 Boucher.-William Cowper, sa correspondance et ses poésies, par Léon Boucher. Paris, Sandoz et Fischbacher, 1874.

06/12/2017

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Chapter 24 de Laprade.-Histoire du Sentiment de la Nature, par Victor de Laprade. Prolegomènes. Didier, Paris, s. d.

06/12/2017

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Chapter 25 Shairp.-Studies in Poetry and Philosophy, by J. C. Shairp. Third Edition Edinburgh, Edmonston and Douglas, 1876.

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